- 3 mai 2021
- Code du travail , Actualités , Entreprise , Me Audrey NICOLAS
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AMOUR, RUPTURE ET TRAVAIL
Salarié au sein d’une banque en qualité de formateur, Fabrice[1] relate la relation amoureuse qui a conduit à son licenciement.
Une rupture sentimentale entre deux collègues de travail peut-elle constituer un motif de licenciement ? L’employeur dispose-t-il de moyens d’actions face à cette relation amoureuse qui se termine mal ?
Telles sont les questions posées à la Cour de cassation qui y a répondu très clairement dans un arrêt rendu le 16 décembre 2020[2].
Quels sont les faits ?
Durant plusieurs mois, Fabrice, salarié depuis le 3 juin 2002 entretient une relation amoureuse faite de ruptures et de sollicitations réciproques avec sa collègue Chantal[3].
Bien qu’ils conviennent le 16 octobre 2014 que leur relation doit s’arrêter, le salarié, toujours amoureux, adresse à sa collègue de nombreux messages intimes, des mails insistants dont deux par l’intermédiaire de sa messagerie professionnelle.
Il va jusqu’à installer une balise GPS sur le véhicule personnel de cette dernière pour la surveiller à son insu.
Pourtant, Chantal a été claire : elle ne souhaite plus avoir de contact avec lui en dehors de l’activité de l’entreprise.
Devant son insistance, Fabrice est licencié pour faute grave le 6 juillet 2015.
Il conteste son licenciement estimant que les faits pour lesquels il a été sanctionné relèvent de sa vie privée.
Que disent les juges ?
Tout d’abord, la Cour d’appel revient sur la matérialité des faits et constate que :
- Fabrice et Chantal ont entretenu pendant plusieurs mois une relation amoureuse faite de ruptures et de sollicitations réciproques ;
- Le courriel de rupture de Chantal établissait que chacun d’eux avait suggéré de rompre ;
- Seuls deux courriels lui ont été envoyés au moyen de sa messagerie professionnelle ;
- La balise GPS avait été posée sur son véhicule personnel.
Les juges du fond ont également considéré que les faits n’avaient aucun retentissement négatif au sein de l’agence ou sur la carrière de Chantal.
Par ailleurs, l’allégation de harcèlement moral écarté, ils ont pu en déduire que les faits étaient exclusivement liés à des relations privées et qu’ils n’étaient donc pas constitutifs d’une faute.
La Cour de cassation partage la position de la juridiction d’appel en confirmant que les faits relevaient de la vie personnelle du salarié et ne constituaient pas un manquement aux obligations découlant de son contrat de travail, en sorte que ces faits échappaient au pouvoir disciplinaire de l’employeur. Le licenciement était en conséquence dénué de cause réelle et sérieuse.
Cet arrêt est particulièrement intéressant dans la mesure où il se construit autour de faits qui auraient pu être bien différents.
Le comportement de Fabrice aurait certainement été sanctionné s’il s’agissait du véhicule de fonction de Chantal.
S’il avait adressé ses mails intimes exclusivement au moyen de sa messagerie professionnel, les faits relèveraient-ils de la vie personnelle des salariés concernés ?
Enfin, il semble évident que l’impact négatif de cette relation amoureuse sur la bonne marche de l’entreprise confèrerait à l’employeur un pouvoir disciplinaire lui permettant de la protéger.
Une relation, une dispute, une réconciliation, une rupture au travail … cela n’a rien d’inédit mais la sanction peut être sévère à la hauteur des risques retentissants que les salariés amoureux feront prendre à leur entreprise.
Maître Audrey NICOLAS
Avocat au Barreau de Paris
Les Avocats Réunis AARPI
[1] Prénom fictif du salarié concerné
[2] Cour de cassation, Chambre sociale, 16 décembre 2020, 19-14.665
[3] Prénom fictif de la collègue concernée
Article également paru sur Eurojuris France
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