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Liberté publique et sécurité – Interview Me Dominique NICOLAS

La situation sanitaire oblige tout le monde a la plus grande prudence. Les choix politiques renforcent la sécurité de la population et sacrifient la liberté publique qui est un Droit fondamental de la République. Me Dominique NICOLAS, interrogé par Martinique 1ère, explique pourquoi le rapport entre libertés publiques et sécurité doit être analysé sans complexe et sans attendre. (–> écouter son interview à partir de 4min50s)

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Interview Me Dominique NICOLAS sur Martinique 1ère Radio– Journal de 13h du 19 octobre 2020

Version retranscrite de l’interview :

Confinement, couvre-feu, limitation des regroupements, fermetures de plages, port de masque obligatoire… des mesures collectives de lutte contre la propagation du COVID-19 qui ne font pas toujours l’unanimité. Tout en admettant qu’il faut veiller à ne pas mettre la population en danger, nombreux sont ceux qui mettent en garde contre les abus et les excès. Bertrand Caruge a échangé avec Me Dominique NICOLAS, l’ancien bâtonnier, à ce sujet : 

Me Dominique NICOLAS : C’est souvent ceux qui les prennent qui n’ont pas beaucoup le choix. Aujourd’hui on est en présence de dirigeants qui souvent prennent des décisions pour qu’on puisse dire qu’ils les ont prises. 

Vous avez des gouvernants qui s’appuient finalement sur des médecins ou sur tel ou tel expert ou tel ou tel technocrate pour prendre des décisions qui, quelquefois, auraient dû être des décisions politiques. Et on se cachent souvent derrière l’avis du médecin ou l’avis de tel ou tel expert pour pouvoir tenter de légitimer une décision que l’on prend. Mais quand on connaît l’état de nos connaissances sur un phénomène sanitaire on se rend compte aujourd’hui que les connaissances ne permettent pas d’être certains. Et donc les décisions sont des décisions qui sont, à mon avis, quelques fois contestables parce qu’elles sont privatives de liberté ; et le débat est là il faut que l’on se pose la vraie question qui est de savoir quel est l’état du choix que l’on doit faire entre plus de sécurité sanitaire et moins de liberté parce qu’en fait on ne peut pas avoir les deux en même temps, et tout le débat juridique est de savoir, compte tenu, du fait que nous sommes dans un état où la liberté d’aller et venir, la liberté d’expression existent et sont constitutionnellement bien garanties. Finalement les libertés publiques aujourd’hui ne doivent-elles pas être remises sur la table et discuter au regard de la sécurité qu’on devrait avoir. En parler ainsi c’est certainement une approche que l’on n’attend pas d’un avocat ou d’un juriste mais en réalité vaut mieux qu’on y aille franchement maintenant plutôt que d’attendre qu’on nous l’impose demain ; on ne peut pas comprendre qu’un certain nombre de personnes acceptent parce que c’est ce qui se passe : accepte quelques fois des privations de liberté qui sont très limites et on a le sentiment qu’elles s’habituent, on les habitue en tout cas à être privées de liberté pour que demain elles les acceptent plus. Et c’est toute la question du traçage, en fait, des contacts et des cas contacts ; sous couvert du traçage des cas contacts et bien on arrive à accepter le fait d’être tracé.

Bertrand CARUGE : L’avocat que vous êtes, le citoyen que vous êtes qu’est-ce qu’ils pensent aussi de cette comparaison entre nécessité finalement de l’intérêt collectif de l’état qui doit protéger comme vous le dites l’ensemble de la population et la préservation d’un certain nombre effectivement de liberté mais certains disent que justement les intérêts particuliers ne doivent pas primer sur l’intérêt collectif, l’intérêt général ? 

Me D.N. : L’état est garant de l’intérêt général bien que ceux qui dirigent ces états là le plus souvent recherchent leurs intérêts particuliers, mais en tout cas l’état est garant de l’intérêt général et il faut qu’un certain nombre de règles soient imposées. On n’a pas beaucoup de choix. Maintenant il y a une chose sur laquelle il faut absolument s’attarder c’est les outils sur lesquels on s’appuie pour pouvoir légitimer telle ou telle décision qui devrait aller dans le sens de l’intérêt général ; et je ferai une seule observation : je pense à un article qu’avait écrit Pierre BOURDIEU, il y a déjà bien longtemps en 1972, qui a été réédité en 1984 et qui s’appelle « L’opinion publique n’existe pas ». 

Il faut lire cet article ! Dans cet article P.BOURDIEU démontre comment il y a un certain nombre de postulats qui sont toujours posés sur la table qui font que les éléments, que l’on va recueillir pour pouvoir créer ce que l’on appelle l’opinion publique, est finalement un artefact et qu’en réalité diriger, gérer un pays en s’appuyant soit sur l’opinion publique telle qu’elle a été fabriquée et telle qu’elle est fabriquée, soit par des médecins ou par autre chose, et bien finalement ce n’est pas la bonne direction parce qu’en réalité on fait croire des choses qui ne le sont pas… 

B.C. : En particulier dans le contexte que l’on vit maintenant depuis plusieurs mois de ce point de vue et pour analyser ce type de problème ou en tout cas de questionnements, le rôle à la fois de l’avocat et du journaliste est-il important ? 

Me D.N. : Ce sont les deux professions qui tous les jours doivent arroser la même plante : celle de l’indépendance. Il faut absolument que les journalistes, et les avocats aussi, aient un rôle sur ce qui se joue aujourd’hui : C’est à dire le déplacement du curseur de moins de liberté pour plus de sécurité. Alors on parle de sécurité sanitaire aujourd’hui, on parlera d’autre sécurité demain. En réalité on a besoin de gens suffisamment indépendants pour pouvoir poser les problèmes sans qu’on puisse dire qu’ils sont complotistes ou pas. Donc aujourd’hui il faut vraiment positionner les choses autrement. C’est la raison pour laquelle on va même se poser la question de savoir s’il ne faudrait pas remettre à plat cette 5ème République, en faire une autre dans laquelle un certain nombre d’éléments permettraient de répondre à la problématique d’aujourd’hui et de demain qui est finalement celle de nos libertés, celle de notre sécurité. Qui mieux que les journalistes et les avocats, parce qu’ils sont très attachés à l’indépendance, pourraient poser les questions. Je ne suis pas sûr que les politiques le puissent dans la mesure où ils sont dans une logique qui est tout à fait humaine qui est celle de leur réélection ; et même si dans le discours il y a la volonté de protéger l’intérêt général et bien je crois que c’est à partir de ceux qui sont complètement indépendants, qui n’ont pas peur de dire les choses telles qu’elles sont, que l’on va avoir certainement des orientations différentes. On ne peut pas accepter et prendre pour argent comptant tout ce que l’on nous dit, sous prétexte que ce sont des technocrates ou des médecins qui le disent et que c’est bon pour nous, aujourd’hui tout ce que nous savons c’est que nous ne savons pas grand-chose !

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